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Quand les ponts de mai se transforment en viaducs…

Publié le 19 mai 2024 par Jlboulin @etourismeinfo

Quand la france devient ce pays de loisirs semblant presque eternels

Les Français aiment le mois de mai. Ils aiment singulièrement les mois de mai qui leur offrent des ponts généreux, de ces ponts qui font l'admiration de nos voisins parfois un peu moqueurs. Ces fameux ponts qui se transforment en viaducs et qui permettent à nos chanceux concitoyens, quand tout va bien, en posant un jour de congés, de partir une semaine loin des rumeurs de la ville, des élections, du chaos du monde qui les entoure. La France devient alors ce pays de loisirs semblant presque éternels, de petits restaurants aux services à la française (une hospitalité somme toute en devenir), de fêtes de la gastronomie et du vin célébrant le génie de nos terroirs et de célébrations collectives patrimoniales et culturelles préfigurant, avec la nuit européennes des musées, ce que sera notre beau pays durant l'été : un festival de Festivals !

Pour réaliser ce marathon d'activités, qui s'achèvera avec les Journées européennes du patrimoine en septembre, dernière étape de la saison touristique, il n'est pas simple de proposer un fil conducteur commun ou de présenter une offre sur-mesure qui convienne à chacune et chacun des consommateurs en puissance que nous sommes (je devrais plutôt dire de la grosse moitié des Français à laquelle une majorité d'entre nous avons la chance d'appartenir puisque nous le savons depuis longtemps, le tourisme est un marqueur social et souligne au moins en partie les inégalités entre revenus disponibles et pouvoirs d'achat, donc entre budgets week-ends et congés et taux de départ). La profusion d'offres et d'initiatives reste la plupart du temps inconnue de la plupart de nous, il est impossible d'aller sur l'ensemble des sites de destinations ou de télécharger les applications comparatrices. C'est la raison pour laquelle mon attention s'est portée sur deux initiatives ou concepts qui préfigurent, je crois, ce vers quoi le tourisme doit aller.

Quand ponts transforment viaducs…

Un Travel planner à la française généré par l'IA

Il y a un mois environ, alors que j'allais rejoindre un atelier de travail au Centre des monuments nationaux consacré aux mobilités durables, je reçois une notification sur mon portable annonçant qu'une lettre anonyme circule chez Atout France. Curieuse coïncidence, je venais d'avoir un long exposé tout à fait passionnant de la part de Lionel Bertounèche, travel director de GENIAL, au sujet du " travel planner " que son entreprise venait de développer pour le compte du nouveau portail France.fr d'Atout France. Je dois dire que je fus moins captivé par le psychodrame au sein de l'agence de promotion de notre beau pays, rapidement repris dans la presse (je n'aime pas les lettre anonymes, elles rappellent trop une " passion " française délatrice durant la Seconde Guerre mondiale) que par ce que Lionel m'a présenté : un Travel planner, alimenté par l'intelligence artificielle et développé par GENIAL Travel, intégré au portail " France.fr ", simplifiant ainsi le processus de planification de voyage en offrant la possibilité aux internautes de renseigner leurs critères de profil (voyage en famille, entre amis, budget...) et leurs renseignements de voyages (dates, lieu...).

Quand ponts transforment viaducs…

Le site suggère ensuite un programme de séjour détaillé jour par jour avec itinéraire personnalisé (activités, restauration, hébergement etc.). Ces itinéraires optimisés sont accompagnés d'un fond cartographique OpenStreetMap, qui visualise les points d'intérêt et permet de proposer le moyen de transport le plus adapté. En complément, un chatbot IA " MarIAnne " est également présenté. Cette expérience de navigation optimisée est vraiment très bien faite, elle est d'ailleurs relayée sur les sites d'Air France et de SNCF Voyageurs. Il manque encore quelques développements permettant de réserver directement ou d'acheter sur le site. Lionel Bertounèche et Erwan Simon, le fondateur de GENIAL, l'ont parfaitement à l'esprit.

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Réguler les flux et les mobilités semble nécessaire, mais pas selon le " syllogisme de Venise "

Après le Travel planner et son écosystème IA, place à un autre sujet d'avenir : la coordination des mobilités touristiques, à finalités environnementales assumées. Quelques jours plus tôt, j'ai eu le plaisir d'aller passer une belle journée au Touquet à l'occasion du Week-end de l'innovation touristique dont le thème en 2024 était " Demain, les itinérances touristiques " à l'invitation de l'équipe de Hauts-de-France innovation tourisme, qui avait lu mes quelques chroniques publiées sur ce blog l'année dernière consacrée aux mobilités touristiques, Et de participer à quelques conférences et tables-rondes autour du sujet principal. Rémy Knafou a d'abord replacé les mobilités touristiques dans une perspective multiple en s'appuyant notamment sur l'idée que l'itinérance (ou les itinérances) est au cœur de 4ème révolution touristique. Cette notion de révolution touristique souligne les dynamiques de ce secteur, à la fois selon un prisme historique mais également pour le géographe, la question du rapport du tourisme à l'espace, aux espaces, aux territoires et à leurs écosystèmes. D'un point de vue historique, et pour rafraichir la mémoire peut être défaillante de lecteurs et lectrices de ce blog, la quatrième révolution renverse la tendance du " toujours plus " et semble conjuguer initiative et responsabilité des touristes, autorégulation des territoires touristiques décidés à miser sur des cercles vertueux et endiguements dans l'intérêt du plus grand nombre.

A ce titre, la régulation des flux et des mobilités semble nécessaire. C'est ce que rappelait Rémy Knafou dans son ouvrage " Réinventer le tourisme - sauver nos vacances sans détruire le monde " paru aux Éditions du Faubourg en 2021, en partant d'un postulat : il convient d'admettre la réalité du tourisme de masse sur une planète peuplée par près de 8 milliards d'habitants et d'en tirer les conséquences, c'est-à-dire changer de logique et de discours, identifier les moyens d'action et les solutions viables et ne pas hésiter à poser quelques interdits au bénéfice de l'humanité. Quelques exemples sont étudiés par le géographe : le Bhoutan et son modèle " High Value, Low Volume Tourism avec une portée limitée ou ce qu'il appelle le " syllogisme de Venise " ou " la commedia dell'arte au service de la confusion des esprits " (récemment parfaitement expliquée par Prosper Wanner dans un post sur LinkedIn) : " une taxe de 3 à 6 euros par visiteur, qui, de facto, serait un droit d'entrée, ne constitue pas un outil de régulation, car on n'en attend pas une diminution du nombre des visiteurs, mais seulement une contribution à l'entretien du lieu ; si l'on souhaite réellement diminuer le nombre de visiteurs, il faut instaurer un quota annuel d'escales de navires de croisières (et accepter la diminution des recettes liées). "

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Le Maas, le Graal des mobilités touristiques ?

Pour sortir de la culture du " toujours plus ", incompatible avec la " durabilité " selon Rémy Knafou, il arrivera bien un jour où la fuite en avant devra s'arrêter. Les leviers disponibles sont connus : il faut agir d'un côté sur les touristes, d'un autre sur les destinations, puis envisager le maillon central qu'est le transport. Pour faire en sorte de mieux prévoir et réguler les mobilités, leurs organisations, leurs modes que l'on espère doux, leurs usages et leurs liens avec les territoires et les habitants. C'est à ce titre qu'une table-ronde au Touquet a capté mon attention. Elle posait la question du " MaaS, Graal des mobilités touristiques ? " et faisait débattre Fabien Ferdinandy, CEO Loopi, une application qui créé et diffuse des circuits touristiques bas carbone, et David Riallant, Co-fondateur et directeur de VisitMoov, algorithmes d'optimisation de calcul multimodal sous contraintes. Quelques années plus tôt, nous aurions parlé " intermodalité " qui renvoie à l'utilisation successive de plusieurs modes de transport pour réaliser un déplacement. En théorie, il embrasse tous les modes, mais dans la pratique, les politiques intermodales mises en œuvre jusqu'à aujourd'hui étaient surtout centrées sur les transports publics et la voiture personnelle. L'élargissement des politiques intermodales au vélo et aux nouveaux services de mobilité est plus récent et partiel, se traduisant essentiellement par des aménagements physiques aux abords des gares ou pôles d'échange, et allant parfois jusqu'à l'intégration de services de location de vélo en libre-service ou d'autopartage sur un support billettique interopérable.

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Le MaaS doit placer le voyageur au centre de son modèle

Depuis quelques années, le concept de MaaS (Mobility as a Service) pousse plus loin les frontières de l'intermodalité, en proposant les outils d'une information multimodale complète jusqu'à un support unique pour accéder à chacun de ces services. Développer un MaaS est un défi dans les déplacements du quotidien et mobilise les territoires et opérateurs de la mobilité depuis de nombreuses années déjà. La promesse d'une plateforme unique pour guider les visiteurs fait bien entendu saliver les destinations. De la discussion, animée et vive, il est ressorti que le Maas n'est qu'un outil. Le véritable enjeu est non pas de faire un MaaS dédié au tourisme mais une solution qui s'adapte en temps réel aux attentes et envies du voyageur et à l'évolution des conditions dans lesquelles il évolue.

C'est une innovation, car il prend en compte les nouveaux modes de déplacement (en libre-service par exemple), des données chaudes, des données tiers (trafic, affluence, météo, pollution, ...) pour inciter à se déplacer proprement. C'est une technologie par le traitement de la masse de données, c'est donc bien un enjeu du traitement de la data et désormais de l'IA. Le MaaS touristique doit se distinguer en intégrant les points d'intérêt (POI), les itinéraires et les modes de transport qui présentent un attrait touristique et en incitant à faire des détours, à prendre le temps de la découverte. Le focus du MaaS porte sur le croisement de données hétérogènes et l'intégration du temps réel en fonction des trois temps du tourisme. Les enjeux sont très différents, que ce soit pour la partie " amont " (planification) que pour la partie " pendant le séjour " avec l'adaptation aux conditions en temps réel (les contraintes du voyageur : météo, fréquentation, mode de transport souhaité, etc.). Pour finir, ne pas oublier que pour résoudre les question de mobilités et de fréquentation, le MaaS doit être orienté et centré sur les usages. La difficulté réside dans l'offre pléthorique et hétérogène d'une ville ou d'une destination à l'autre (les limites sont souvent plus humaines, administratives et politiques que technologiques) ce qui pose un problème de standardisation et de rapprochement entre prestataires de transport et prestataires touristiques. L'une des idées partagées dans cette table-ronde est qu'il devrait naitre des responsables Mobilité(s) au sein des OGD.

Quand ponts transforment viaducs…

POUR CONCLURE

L'objet de ce billet n'est pas d'imposer un point de vue mais de proposer une réflexion. Alors que les médias vont encore cette année ressortir le marronnier du " surtourisme ", je crois plus intéressant de proposer une réflexion sur l'organisation de nos mobilités touristiques, sur ce qui peut être pensé, proposé et mis en œuvre à l'échelle des destinations, quelle qu'en soit l'échelle. Parce que des outils existent désormais, on l'a compris, pour réguler, planifier et surtout proposer des mobilités coordonnées et sur-mesure, pour assurer ce qui fait le sel du voyage, l'imprévu du chemin de traverse et offrir l'assurance de notre vagabonde liberté...


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